Offrande du mandala, Tibet

Installation de photographie et de médias mixtes, art performatif, taille variable, village de Shangyuan, Pékin, 1995-2009.

Tirage gélatino-bromure d’argent émulsionné, émulsion de peinture, acrylique, encre sur toile avec néon ; mille portraits de Tibétains en bromure d’argent émulsionné tirés sur des cailloux, mille lampes en bronze; quatre diptyques, 280 x 440 cm l’unité.

 

 

Dans ses travaux récents, Gao Bo donne à voir le passage du temps sur ses œuvres, retravaillant ses premières photos jusqu’à la limite de l’effacement, de la disparition. Ainsi l’Offrande du mandala reprend les “portraits dualités” réalisés au Tibet dans les années 1990 à travers un dispositif entièrement nouveau, actualisé, performé à chaque exposition de l’œuvre. Présentées sous forme de doubles quadriptyques barrés chacun d’une croix au néon rouge, les photographies sont d’abord enduites de résine, puis recouvertes de peinture noire et blanche, partiellement retirée dans un dernier temps. L’image originelle passe d’un état de présence à une disparition complète, avant de réapparaître en partie, souvenir ou fantôme de l’œuvre première, sous les interventions successives de l’artiste. Gao Bo accomplit son travail aux frontières de la disparition, pour mieux révéler la vérité de l’œuvre. Dépassant le clivage binaire entre présence et absence par une dialectique propre, le geste de l’artiste est une expérimentation qui porte le caractère d’une révélation. Gao Bo prolonge ce geste dans une performance où, après avoir peint les œuvres, les corps de l’artiste et de sa partenaire se heurtent, roulent au sol, se déshabillent, disparaissent sous la même peinture, abolissant les frontières entre le corps de l’artiste et son œuvre, entre la femme et l’homme, entre le blanc et le noir. En regard de ces œuvres, Gao Bo a réalisé mille tirages sur pierre de portraits tibétains, chacun portant un matricule numéroté de 0001 à 1000. Hommage aux pierres marnyi, instruments votifs du culte bouddhiste au Tibet, cette installation a été pensée par Gao Bo comme une offrande au peuple tibétain, si cher à l’artiste. Derrière la profonde unité de ces mille visages anonymes rassemblés, c’est pourtant leur fragilité qui rapidement s’impose au spectateur. Fragilité des impressions, artisanales, expérimentales, sur ces galets qui semblent amenés à disparaître, à être dispersés, piétinés, oubliés. Toute la puissance de l’œuvre de Gao Bo réside dans ce contraste : à la fragilité des visages, au morcellement des corps, répond l’implacable vitalité créative et expérimentale de l’artiste qui tente de saisir, pour un instant peut- être, la richesse et la force de la vie.

« Ainsi la Nature est-elle représentée par des os ,des objets morts, des matières qui restent, signes d’une vie précédente... (évocation prosopopéique d’une vie absente ou perdue) et par leur arrangement dans une Nature morte. Mais ici, la Nature morte est immobile, en effet, et morte, simple indice d’un état antérieur ; une “vie” future ne serait à nouveau possible qu’au seul mode subjonctif. L’art est un travail de mémoire. Au demeurant,dansuneautreœuvre,献曼达 (2009),nous découvrons une collection de pierres, chacune portant un visage (rappelant les œuvres commémoratives de Boltanski) ; nous sommes témoins de la superposition d’une image à une pierre déposée pour le souvenir d’une vie ; “pierres à tête” dans le cimetière de la mémoire. Objets trouvés et Nature morte sont en ce sens des “fétiches” religieux – au sens propre du mot “fétiche”, c’est-à-dire chose précieuse, profonde, sacrée, qui doit par conséquent être protégée, évoquée (et non pas dans son sens rationaliste des Lumières, ou intellectuel néo-colonialiste, en tant qu’humiliation ou élément de comparaison négatif vis-à-vis des croyances et pratiques religieuses – non rationnelles – d’autres formes sociales, tout en restant aveugle aux croyances qui sont implicites aux formes d’identité modernes, ou condamnant tout élément culturel non rationnel). Si l’objectif de la commémoration ou de l’appropriation d’objets culturels, c’est d’offrir un paysage culturel en tant que collage comme collection, en tant qu’expérience moderne fragmentée comme positive, comme plaisir, comme jouissance, alors l’objectif le plus mûrement réfléchi de cette appropriation désigne, par son lyrisme, un objet absent ou perdu, évoque d’autres modalités de réflexion et de sentiment, désignant un rituel du “souvenir” ; se souvenir de ce qui est important... affirmer une identité centrée sur la réflexion et la valeur (mais aussi sur la réflexivité et la valeur, avec les paradoxes de la conscience de soi ironique et de l’affirmation performative nécessaire de la (des) valeur(s)). Interpréter une quête (rituellement, comme seul l’art en est capable) : à la recherche d’une signification (et, ce faisant, la créant, comme seuls les humains le peuvent). »

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Dr. Peter Nesteruk, 2016